Depuis trente ans, une seule et même question obsède Marc-André Sirard: qu’est-ce qui détermine le sort d’un ovule? Tout le reste – la création d’un des plus grands centres de recherche canadiens consacrés à la reproduction, les 240 publications, les 10 000 citations de ses travaux, les sept brevets, les partenariats avec l’industrie et les millions de dollars en fonds de recherche – ne constitue que des moyens qui lui ont permis de poursuivre sa quête. C’est néanmoins cette face visible de son oeuvre qui a convaincu l’Association francophone pour le savoir (Acfas) que le temps était venu de lui décerner le prix Léo-Pariseau, une reconnaissance soulignant l’apport remarquable d’un chercheur au domaine des sciences biologiques et des sciences de la santé.
C’est par la porte de la médecine vétérinaire que Marc-André Sirard a fait son entrée en recherche. «D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé les animaux», souligne le professeur du Département des sciences animales, qui confesse l’influence certaine de l’oncle Pierre, un personnage de l’émission télévisée Le capitaine Bonhomme, dans sa décision de devenir vétérinaire. Après avoir obtenu son diplôme en 1981, il pratique pendant un an dans une clinique où il s’occupe des grands animaux. «Le travail est vite devenu routinier et j’avais appris qu’une équipe de recherche de l’Université Laval souhaitait recruter un vétérinaire pour développer des techniques de reproduction in vitro chez l’animal. Je ne tenais pas à faire de la recherche, mais, comme j’espérais devenir “gynécologue de vaches”, j’ai décidé de faire une maîtrise et de participer aux travaux de cette équipe.»
Ses débuts en recherche sont frustrants. «Pendant de longs mois, je n’arrivais à rien. Et puis un jour, les expériences ont débloqué. On a réussi à faire des choses qui, jusque-là, relevaient de la science-fiction. C’était à la fois excitant et magique.» Raymond Lambert, qui dirigeait ses travaux, se souvient du rôle joué par le jeune étudiant dans cette percée. «C’est son sens de l’observation et sa perspicacité remarquables qui l’ont amené à comprendre les mécanismes de la fécondation chez les bovins et qui ont conduit à la naissance des premiers veaux éprouvette canadiens. Il s’agissait d’une première mondiale à l’aide d’une technique reproductible.»
Après son doctorat en 1986, Marc-André Sirard enchaîne avec un postdoctorat à l’Université du Wisconsin, puis il accepte un poste à l’Université Laval. «Fait exceptionnel, il avait reçu des offres d’emploi de trois universités avant même la fin de ses études, souligne Raymond Lambert. Il a choisi de revenir à l’Université Laval et, sous sa gouverne, le Centre de recherche en biologie de la reproduction (CRBR) est devenu le chef de file de la recherche en reproduction animale au Québec, probablement le plus grand centre de recherche en reproduction animale au Canada et un leader mondial en biologie de la reproduction. Ses qualités de visionnaire, sa grande perspicacité et sa capacité de travail ont contribué à ce succès.»
Leur collègue de longue date au sein du CRBR et aujourd’hui vice-recteur adjoint à la qualité de la formation et appui à la réussite, François Pothier, abonde dans le même sens. «Marc-André est un hyperactif cérébral constamment en quête de la prochaine étape, toujours en avance sur les autres dans son domaine. Mais aussi et surtout, c’est un rassembleur à l’écoute de ses collaborateurs et ouvert aux idées des autres.» Cette ouverture l’a mené hors des sentiers scientifiques battus. Il a notamment joué le rôle de conseiller auprès de Robert Lepage pour l’exposition Métissage, présentée au Musée de la civilisation. Aussi, très tôt dans l’histoire du CRBR, il a encouragé une réflexion éthique sur les travaux qu’on y menait, multipliant les occasions d’échange avec des bioéthiciens. «Au départ, je croyais naïvement qu’en leur expliquant ce que nous faisions, je pourrais les convaincre du bien-fondé de nos travaux. Finalement, c’est surtout mon point de vue qui a évolué. La position technique est souvent à courte vue.»
Le professeur Sirard jure que son intimidant cv ne s’est pas édifié à partir d’un plan de carrière, mais uniquement d’une grande curiosité. «Je voulais comprendre comment fonctionnent les ovules et pourquoi ils ne sont pas tous d’égale qualité. Le reste a suivi.» La réponse à cette question, il l’a finalement trouvée dans l’ovaire. «C’est lui qui coache l’ovule, qui décide de sa qualité et qui lui donne ou non la clé de la génération suivante.»
S’il estime qu’il s’agit là de son principal apport à la science, sa plus grande source de fierté réside ailleurs, dans la formation des quelque 80 étudiants-chercheurs qui ont fait partie de son équipe. «Comme professeur-chercheur, c’est ma principale contribution à la société, celle qui est la plus durable.» La presque totalité de ses étudiants ont d’ailleurs trouvé un emploi en lien direct avec leur domaine d’études, souligne François Pothier. «Pour lui, c’est une façon de redonner à la société qui paie son salaire et de mettre la science au service du milieu.»
Cette préoccupation ne date pas d’hier. Lorsqu’il terminait son postdoctorat en 1987, Marc-André Sirard a reçu une offre d’emploi aux États-Unis. Il l’a refusée. «Ça ne m’intéressait pas de vivre dans une société où la valeur première est l’argent.» Et quelle devrait être la valeur première d’une société? Sa réponse, qui tient en trois mots, résume l’homme et son oeuvre, et explique le respect que tant de gens lui portent: «le bien commun».
Source: www.lefil.ulaval.ca/face-cachee-lovule-36491
«C’est l’ovaire qui coache l’ovule, qui décide de sa qualité et qui lui donne ou non la clé de la génération suivante», affirme Marc-André Sirard.