Mélatonine: Protectrice intelligente du placenta !

18 Mar 2019
Mars 2019/Vol.8,no.2

Le laboratoire de toxicologie de la grossesse du Pre Cathy Vaillancourt, du Centre INRS-Institut Armand-Frappier, vise à identifier les mécanismes d’action de la mélatonine au niveau du placenta. Un article de Fatma Kharrat, étudiante à la maîtrise au laboratoire du Pre Cathy Vaillancourt.

La grossesse est une étape critique de la vie, durant laquelle plusieurs processus physiologiques sont modifiés. C’est aussi un état de stress oxydatif croissant (Myatt et al., 2004). Longtemps décrite comme la régulatrice des rythmes circadiens (Zhdanova et al., 2005), la mélatonine est aussi de plus en plus évoquée comme une molécule protectrice des cellules. En effet, elle possède différentes propriétés lui permettant d’exercer son puissant pouvoir antioxydant (Galano et al., 2013). En outre, la mélatonine est plus efficace dans la lutte contre les radicaux libres que les autres antioxydants naturels ou chimiquement synthétisés connus (Martin et al., 2000; Reiter et al., 2009). La mélatonine possède une caractéristique unique : une distribution omniprésente. Grâce à son caractère amphiphile, à la fois hydrophile et lipophile, il n’y a pas de barrières morphophysiologiques pour cette molécule! Elle passe facilement entre les compartiments cellulaires et a accès aux sites de production majeurs des Espèces Réactives de l’Oxygène (EROs) comme la mitochondrie, où on a même démontré qu’elle y est produite.

Stress oxydatif: Survient lorsque la production d’Espèces Réactives de  l’Oxygène (métabolites produits après utilisation de l’oxygène ou EROs) dépasse la défense antioxydante intrinsèque provoquant ainsi des dommages moléculaires menant à la mort cellulaire

Les métabolites de la mélatonine sont aussi des piégeurs (scavengers) d’EROs. La mélatonine est la progénitrice d’une série de neutralisateurs de radicaux libres fonctionnant en cascade afin de prévenir les dommages causés par les EROs (Tan et al., 2002; Sagrillo-Fagundes et al., 2014). De cette manière, la mélatonine agit de façon directe sur les radicaux libres, mais elle peut aussi agir de façon indirecte, via l’activation de ses récepteurs qui stimulent l’expression des enzymes antioxydantes (Richter et al., 2009; Rodriguez et al., 2004).

Mélatonine: (N-acétyl-5- méthoxytryptamine): membre de la famille des indolamines, molécules ayant une fonction amine liée à un cycle d’indole. Elle est synthétisée à partir de la sérotonine.

L’équipe du Pre Vaillancourt s’intéresse à l’étude du fonctionnement de la mélatonine au niveau du placenta. Son équipe a découvert que la mélatonine est produite par les cellules trophoblastiques du placenta, qui expriment également ses récepteurs MT1 et MT2. La mélatonine agit de manière autocrine, intracrine et paracrine au niveau de cet organe (Lanoix et al., 2008; Sagrillo-Fagundes et al., 2014). En 1991, l’équipe de Kivela et al., a démontré une augmentation des niveaux de mélatonine dans le sang maternel durant la grossesse. Les travaux de l’équipe du Pre Vaillancourt suggèrent que cette augmentation serait due à la production placentaire de mélatonine (Lanoix et al., 2008). En situation de stress oxydatif, générée par une hypoxie/réoxygénation, la mélatonine protège les cellules placentaires contre les dommages cellulaires. Elle diminue les niveaux d’EROs en les neutralisant et augmente l’expression et l’activité des enzymes antioxydantes, démontrant son action antioxydante au niveau du placenta.

En présence de stress oxydant, la mélatonine protège également les trophoblastes placentaires contre l’induction de l’apoptose (mort cellulaire programmée) via la voie mitochondriale. En effet, l’équipe du Pre Vaillancourt a déjà démontré que la mélatonine maintenait l’équilibre entre les espèces pro- et antioxydantes, empêchant la mort cellulaire par apoptose (Lanoix et al., 2013).

Cellule trophoblastique: Cellule principale qui constitue la villosité choriale, l’unité structurale et fonctionnelle du placenta. Elle possède un rôle nourricier, métabolique et endocrinien et produit la mélatonine. Adaptée de  Sagrillo-Fagundes et al., 2014.

Travaux en cours dans le laboratoire du Pre Cathy Vaillancourt

La mélatonine une « tueuse intelligente ».

 

Une action antitumorale de la mélatonine a été démontrée dans les cellules cancéreuses (Mediavilla et al., 2010). Dans le cancer hépatique (Zha et al., 2011), le cancer rénal (Um et al., 2010) et les mélanomes (Kim et al., 2014), la mélatonine exerce une action pro-apoptotique : un effet contraire à celui qu’elle exerce dans les cellules saines, ce qui est fascinant ! En effet, elle a une action pro-oxydante, en induisant le stress oxydatif au niveau des cellules cancéreuses, les menant ainsi à la mort par apoptose (Casado-Zapico et al., 2010 ; Dziegiel et al., 2003). Cependant, cette action de la mélatonine n’a jamais été étudiée dans les cellules tumorales placentaires.

Le choriocarcinome placentaire est le résultat de la transformation des trophoblastes sains en tumeur maligne. Il atteint 1 femme sur 40 000 et il est généralement traité par des chimiothérapies. De Maeda et al., 2018;  Ganapathi et al., 2010; Kaplan, C.G. et al., 2009

Le laboratoire du Pre Vaillancourt souhaite élucider l’action anti-cancéreuse de la mélatonine au niveau du placenta en utilisant un modèle de choriocarcinome placentaire, les cellules BeWo.

Les cellules BeWo, comme les trophoblastes placentaires sains, synthétisent la mélatonine et expriment ses récepteurs (Lanoix et al., 2006; 2008; Soliman et al., 2015). Jusqu’à présent, notre équipe a démontré que les cellules BeWo réagissent différemment à la mélatonine en comparaison avec les cellules saines. Nous avons, entre-autres, démontré une action pro-apoptotique de cette indolamine par une perte du potentiel membranaire mitochondrial (Lanoix et al., 2012).

Les travaux actuels dans notre laboratoire portent sur le mécanisme par lequel la mélatonine exerce un effet pro-oxydant dans les cellules tumorales. Nos résultats préliminaires montrent que la mélatonine augmente les niveaux d’EROs dans les cellules BeWo. Elle augmente aussi l’expression de la Xanthine Oxydase, une enzyme pro-oxydante considérée comme le générateur majeur d’EROs. De plus, la mélatonine augmente les niveaux d’expression des enzymes antioxydantes (catalase, glutathione peroxydase, superoxydes dismutases…). Dans les cellules BeWo, la mélatonine augmente la peroxydation des lipides et la carbonylation des protéines; des dommages cellulaires causés par le stress.

 

Mais comment cette molécule intelligente peut-elle exercer des effets complètement inverses selon le type de cellule qu’elle rencontre ? La poursuite de nos travaux permettra de répondre à cette question et de mieux comprendre la dualité d’action de la mélatonine sur les cellules saines versus tumorales.